Ironie Ironie Ironie
Interrogation Critique et Ludique n°153 – Février 2011
http://ironie.free.fr – ISSN 1285-8544
IRONIE : 51, rue Boussingault - 75013 Paris
***
MARCELIN PLEYNET
Jeudi 17 février 2011, à 19 heures
Musée d’Art moderne de la ville de Paris, salle Matisse
À l’occasion de la parution de son livre
Comme la poésie la peinture (Éditions du Sandre – Éditions Marciana, 2010),
Marcelin Pleynet s’entretiendra avec Fabrice Hergott,
directeur du Musée d’Art moderne de la ville de Paris.
Cet entretien sera précédé d’une lecture
par Florence D. Lambert et Lionel Dax,
et suivi d’une signature à la librairie du musée.
Entrée libre
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Interrogation Critique et Ludique n°153 – Février 2011
http://ironie.free.fr – ISSN 1285-8544
IRONIE : 51, rue Boussingault - 75013 Paris
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MARCELIN PLEYNET
Jeudi 17 février 2011, à 19 heures
Musée d’Art moderne de la ville de Paris, salle Matisse
À l’occasion de la parution de son livre
Comme la poésie la peinture (Éditions du Sandre – Éditions Marciana, 2010),
Marcelin Pleynet s’entretiendra avec Fabrice Hergott,
directeur du Musée d’Art moderne de la ville de Paris.
Cet entretien sera précédé d’une lecture
par Florence D. Lambert et Lionel Dax,
et suivi d’une signature à la librairie du musée.
Entrée libre
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MATISSE, UNE SECONDE VIE
François Legrand : Comment qualifier l’expérience biographique de Matisse pendant et après la maladie ?
Marcelin Pleynet : Je dirais d’abord qu’avec Picasso, Matisse est pour moi un des deux plus grands peintres du XXe siècle. Matisse est incontestablement le plus grand peintre français depuis Cézanne, Cézanne à qui il rend hommage à plusieurs reprises dans son œuvre. Après son opération réussie à Lyon en 1941, Matisse est le contraire d’un artiste replié sur lui- même, son œuvre plus que jamais se déplie sur le monde. Il y a alors chez Matisse un retrait pour une ouverture. Avec cette particularité qui le distingue de Picasso : son traitement délibéré du nihilisme par la négation – la négation de la négation. D’où l’importance de la maladie dans l’œuvre et la réponse absolument splendide qui est donnée à l’arrivée de la négativité dans le corps de l’artiste. Cette maladie est vécue comme la maladie du siècle. Il y a une très belle phrase de Nietzsche là-dessus : « Partant du point de vue du malade, considérer les notions et les valeurs les plus saines. » C’est valable pour la pensée historique de Matisse, et, à partir de 1941 plus particulièrement, pour la façon dont il pense et dont il traite son corps. En conséquence, Matisse vit à Nice, la ville qu’il a adoptée pour sa lumière, et à Nice auprès de Madame Lydia Delectorskaya, qui est une femme fabuleusement belle qui a joué un rôle important dans la vie, c’est-à-dire dans l’œuvre du peintre.
F. L. : Comment Matisse traverse-t-il les « années noires » ?
M. P. : Je dirais que Matisse possède une vision philosophique du monde à l’intérieur duquel il se trouve. Cet homme a traversé deux guerres mondiales, et, alors que sa femme et sa fille sont aux mains des Nazis, il décide de dire ce qu’il en est pour un homme de vivre dans un monde habitable, alors que le monde dans lequel il vit est aussi inhabitable qu’inhabité. C’est l’essence même de l’œuvre de Matisse, encore plus marquée, je crois, dans la seconde partie de son œuvre et tout au long de la guerre. Parlant des artistes français qui se sont rendus en Allemagne, Matisse écrit : « Je les trouve très courageux »... C’est amplement suffisant. Matisse a une conscience aiguë du caractère destructeur du nihilisme qui hante son siècle. Résistant à cela, il fait une œuvre de résistant. Son œuvre célèbre d’abord et essentiellement dans l’homme tout ce qui aspire à une habitation heureuse, à une joie de vivre. L’œuvre de Matisse est une réponse constante au siècle. Matisse revendique ce qu’il en est de la jouissance et la vérité d’un homme comme modèle contre ce qui fait sa destruction. L’art de Matisse, au-delà de la crise de la métaphysique qui empoisonne le siècle, fait, dès sa rencontre avec les pastels de Quentin de La Tour, explicitement signe au XVIIIe siècle français. Et c’est dans cette perspective qu’à la fin de sa vie, sans la moindre trace de puritanisme, il associera érotisme et catholicisme.
F. L. : L’habileté politique de Matisse après guerre tient-elle de l’art de l’acrobate?
M. P. : Sur ce plan, on peut parler d’une stratégie concertée et très fine de Matisse. Le rapport à Aragon en fait partie : il ouvre son œuvre à un public (la gauche française et plus particulièrement la gauche communiste) qui n’était pas vraiment matissien. Ainsi ce sera Picasso, célébré lors du fameux Salon de la Libération de 1944, qui y fera inviter Matisse. On manque par ailleurs d’informations sur la très curieuse attitude de Madame Delectorskaya qui donnait à l’Union soviétique les tableaux que Matisse lui offrait – il n’est pas exclu qu’elle soit alors conseillée directement par Matisse sur ce point. De même, quand Matisse est invité, en 1950, à exposer à la Maison de la pensée française – d’obédience communiste –, que choisit-il d’exposer ? Les œuvres liées à la chapelle de Vence ! Donc, dans l’immédiat après-guerre, on discerne deux grands moments stratégiques de Matisse par rapport à son œuvre, d’une part les rapports avec le PCF à travers Aragon et d’autre part les rapports avec Rome à travers la chapelle. On peut noter qu’au même moment Picasso, qui a pris la carte du PCF, choisit pourtant de ne pas faire revenir Guernica de New York. Ces deux artistes partagent donc une intelligence tout à fait extraordinaire de leur art, qui ne les isole pas de la société dans laquelle ils vivent, mais qu’ils appréhendent en fonction des limites mêmes de cette société. Matisse a été très marqué par le fait que, en 1913, le puritanisme entraîne les Américains à brûler en effigie le Nu bleu, souvenir de Biskra lors de la présentation de l’Armory Show à Chicago.
F. L. : Peut-on comparer l’effusion chromatique de la Nature morte aux magnolias, peinte en 1941, et des Intérieurs de Vence à un néo-fauvisme ?
M. P. : Il n’y a pas de néo chez Matisse. N’oubliez pas l’importance pour son œuvre de son tour du monde et du séjour à Tahiti en 1930. Il se rend à Tahiti pour, comme il le dit, découvrir la vérité singulière de la lumière du Sud de la France. Confrontant sa sensibilité et son savoir à l’étrangeté des Tropiques, il renforce la singularité de sa vision afin de mieux connaître l’essence de la lumière et de l’art français. Ce qui se produit après ce grand voyage, après avoir traversé la lumière que Gauguin a connue, ce n’est donc pas un quelconque néo-fauvisme, c’est l’irruption d’une lumière qui n’est française que parce qu’elle est matissienne. Quand, d’autre part, Matisse parle de peindre avec des briques, ne s’emploie-t-il pas alors à mettre en évidence l’importance qu’il attache aux dispositions du volume de son œuvre ? Dans les années 40 et 50, Matisse a sans doute réagi consciemment à cette idéologie de la surface en provenance des États-Unis. Je suis convaincu que pour Picasso et Matisse, la seconde partie de la carrière est entièrement déterminée par ce qui à juste titre leur semble être passé inaperçu dans les études qui leur furent consacrées. Ils savent déjà l’un et l’autre la place qu’ils occupent dans l’histoire – aux côtés de Giotto, de Titien, de Michel-Ange, de Vélasquez, Manet, Cézanne... La seconde partie de leur carrière consiste à préciser très rigoureusement ce qu’il en est de leur œuvre, de ce que très singulièrement elle manifeste, de ce qu’elle dévoile et que la critique s’emploie aujourd’hui encore à recouvrir et à détourner. Picasso va revenir déclarativement sur un certain nombre de tableaux de l’histoire de l’art de Vélasquez à Manet et sur les déterminations érotiques de l’ensemble de son œuvre avec la suite Raphaël et la Fornarina... Matisse, lui, choisit d’inscrire l’ordre de ses sensations dans une tradition qui a 2000 ans, avec la chapelle de Vence, et par la même occasion de sortir son œuvre d’interprétations trop strictement formelles. Par ailleurs, avec les gouaches découpées, Matisse ne déjoue-t-il pas la disposition frontale des peintures en créant un espace à au moins trois dimensions ? La troisième dimension, c’est le tour du monde et la perception de son œuvre comme perception existentielle d’un univers.
F. L. : C’est une vision pour le moins inusitée en France ?
M. P. : C’est l’idéalisme et le puritanisme du formalisme américain qui ont universitairement prévalu en France. Mais si vous voulez faire exploser ces textes, confrontez-les à la question de la figure féminine et de l’érotisme. Tout explose ! L’ultime phrase d’Une saison en enfer de Rimbaud éclaire l’intelligence sensible de Matisse : « Et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. » Ce corps manque incontestablement à nombre d’exégètes de Matisse. Cette vision « plate » de Matisse est d’ailleurs plus ou moins entretenue par la famille Matisse, elle-même terrorisée à l’idée que ce très grand artiste ait pu avoir un corps... Matisse n’ignore jamais qu’il a un corps, et que ce corps, il lui faut aussi le traverser.
F. L. : Pourquoi Matisse considérait-il Jazz comme un échec ?
M. P. : Jazz est un malentendu de succès public comme en témoigne la récente et il faut bien le dire malheureuse exposition du musée du Luxembourg. Le livre n’est pas vivant, il n’est pas à la bonne échelle et donc il n’est pas musical. Toutefois avec Jazz, Matisse forme un volume – un livre est un volume – et donc cela a trois dimensions. On retiendra aussi à cette occasion que l’œuvre de Matisse est pleine de jeux de mots formels : ainsi, par exemple, avec ses odalisques qui jouent à un jeu de dames... Chez Matisse, comme chez les très grands peintres, la forme et le nom de la forme sont une même chose. Or si on doit reconnaître à Jazz une influence, c’est d’abord en ce que l’œuvre se présente comme un volume, c’est que très généralement l’œuvre entend faire musicalement volume.
Des artistes de cette envergure, avec l’œuvre qu’ils ont derrière eux, ne font rien sans arrière- pensée.
En 1942, Matisse a traversé la mort. Jusque-là, sa grande phobie était de devenir aveugle. Après son opération – il a été ouvert, on l’a découpé –, c’est un homme qui est passé à travers, de l’autre côté, mais qui, bien entendu, ne passe pas seul, il passe avec son œuvre.
M. P. : C’est l’idéalisme et le puritanisme du formalisme américain qui ont universitairement prévalu en France. Mais si vous voulez faire exploser ces textes, confrontez-les à la question de la figure féminine et de l’érotisme. Tout explose ! L’ultime phrase d’Une saison en enfer de Rimbaud éclaire l’intelligence sensible de Matisse : « Et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. » Ce corps manque incontestablement à nombre d’exégètes de Matisse. Cette vision « plate » de Matisse est d’ailleurs plus ou moins entretenue par la famille Matisse, elle-même terrorisée à l’idée que ce très grand artiste ait pu avoir un corps... Matisse n’ignore jamais qu’il a un corps, et que ce corps, il lui faut aussi le traverser.
F. L. : Pourquoi Matisse considérait-il Jazz comme un échec ?
M. P. : Jazz est un malentendu de succès public comme en témoigne la récente et il faut bien le dire malheureuse exposition du musée du Luxembourg. Le livre n’est pas vivant, il n’est pas à la bonne échelle et donc il n’est pas musical. Toutefois avec Jazz, Matisse forme un volume – un livre est un volume – et donc cela a trois dimensions. On retiendra aussi à cette occasion que l’œuvre de Matisse est pleine de jeux de mots formels : ainsi, par exemple, avec ses odalisques qui jouent à un jeu de dames... Chez Matisse, comme chez les très grands peintres, la forme et le nom de la forme sont une même chose. Or si on doit reconnaître à Jazz une influence, c’est d’abord en ce que l’œuvre se présente comme un volume, c’est que très généralement l’œuvre entend faire musicalement volume.
Des artistes de cette envergure, avec l’œuvre qu’ils ont derrière eux, ne font rien sans arrière- pensée.
En 1942, Matisse a traversé la mort. Jusque-là, sa grande phobie était de devenir aveugle. Après son opération – il a été ouvert, on l’a découpé –, c’est un homme qui est passé à travers, de l’autre côté, mais qui, bien entendu, ne passe pas seul, il passe avec son œuvre.
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Marcelin Pleynet
Extrait de Comme la poésie la peinture, Éditions du Sandre / Éditions Marciana, 2010.
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